par Michel Fraiture
L'équilibre naturel dans une mer ou un océan est primordial pour la survie des espèces. Une espèce animale se nourrit d'une autre et son nombre augmentera en fonction de la disponibilité de la nourriture et donc, en fonction du bon développement et de la prolifération d'une autre espèce.
Les espèces animales sont ainsi liées entre-elles comme les maillons d'une chaîne qualifiée d'alimentaire ou chaîne trophique.
Les relations dans la chaîne alimentaire
On donne souvent l'exemple que pour " faire " 1 Kg de renard, il faut que celui-ci mange 10 Kg de lapin qui lui-même aura mangé une centaine de Kg d'herbe. Les pertes sont donc énormes. Celles-ci peuvent apparaître sur une figure géométrique pyramidale où la base est beaucoup plus large que le sommet, la pyramide alimentaire.
Des décomposeurs, pour la plupart des invertébrés et bactéries, en permettant à la chaîne de faire une boucle, interviennent à tout niveau de la pyramide. Ils sont souvent petits, très petits, mais ils sont nombreux. Pour avoir un rapport convenable, on compare les énergies qui sont libérées à la consommation. Ces énergies sont exprimées en Kilojoules, par m², par an.
Les décomposeurs tiennent la seconde place dans cet équilibre. Les consommateurs primaires, les herbivores, suivent largement derrière et les consommateurs secondaires, carnivores 1 ou carnivores 2 doivent avoir une base solide derrière eux pour continuer à voir s'épanouir leurs différences espèces.
La vie, c'est manger … et un jour, être mangé.
Les poissons peuvent être à 3 étages différents dans cette pyramide : ils peuvent être herbivores et se nourriront de végétaux, d'algues dans notre cas. Certains sont carnivores de premier ou même de second ordre, comme le bar, le maquereau … et le requin, bien entendu.
Les océans, zones pauvres en producteurs
Pour qu'une nouvelle matière organique soit produite, il doit y avoir un apport de nutriments (déchets et cadavres) pris en charge par des décomposeurs mais aussi un phénomène de photosynthèse qui permettra, grâce au soleil, la fabrication de cette matière organique.
Nutriments et soleil sont donc indispensables. Or, nombreux déchets coulent à grande profondeur, ne pouvant être récupérés que dans des secteurs bien précis où les courants ascendants les ramènent dans des couches superficielles, près de la surface, là où le soleil peut aussi agir.
A côté de déserts à grandes profondeurs, apparaissent des récifs de coraux qui sont parmi les écosystèmes les plus productifs. Ils sont très efficaces pour extraire les nutriments de l'eau et les recycler. Voici un tableau comparatif, extrait du livre " Biologie 1 " de Arms et Camp, aux Ed. De Boeck-Wesmael opposant différents écosystèmes marins au point de vue productivité, avec leurs possibles variations qui peuvent être localement très importantes.
Productivité primaire en gr/m²/an | ||
Ecosystèmes
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Moyennes
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Variations possibles
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Zone océanique Zone de courant ascendant Zone néritique Lits d'algues et récifs de coraux Estuaires |
125 500 360 2500 1500 |
2 - 400 400 - 1000 200 - 600 500 - 4000 200 - 3500 |
Observez les valeurs nettement supérieures en ce qui concerne les récifs de coraux et lits d'algues. D'où l'importance de la préservation de ces endroits où se fabriquent nombreuses ressources indispensables à la vie marine.
La vie en communauté dans le milieu marin
Le milieu coralien étant un des plus riches, il le sera aussi dans la variété des espèces, avec des particularités souvent exceptionnelles et surprenantes.
v...Adaptation à la recherche de nourriture
La forme de la bouche est très importante, c'est elle qui saisit la proie. Nous connaissons la bouche du requin avec ses rangées de dents acérées, mais nous retrouvons cet aspect de dents acérées courbées vers l'arrière, typique des grands carnivores, chez des poissons plus petits et bien connus comme le merlan, le maquereau, cabillaud, bar, mérous, …
Les carnivores de premier ordre s'attaqueront moins à des espèces de grande taille, ils se spécialiseront dans l'absorption de petites proies, des invertébrés de tous genres, herbivores ou détritivores. Cette spécialisation est parfois très poussée, surtout lorsque la proie à saisir est de très petite taille.
L'hippocampe avec sa bouche en forme de flûte peut aller chercher un petit crustacé dans les recoins d'un corail (voir fiche individuelle Aqua 6000 n°81/1996).
Le poisson-papillon, avec la bouche en forme de bec relativement court, s'attaque à la chair tendre des coraux et à leurs polypes, au panache des sabelles, et bien d'autres petits animaux sédentaires des récifs.
Le Chelmon, bien connu des aquariophiles pour la beauté de sa forme et ses couleurs préférera les petits crustacés.
Certains poissons, comme la rascasse, utilisent forme et couleurs de leur corps pour se camoufler et passer totalement inaperçu.
Pour casser le corail, les poissons du genre Arothron auront une adaptation ressemblant à celle des tortues, les dents soudées pour former un bec puissant et cassant (corail) .
Mais les invertébrés peuvent aussi être des carnivores et s'attaquer à d'autres animaux qui savent se défendre … ou non.
La pieuvre, par exemple, avec ses longs bras et son bec puissant maîtrise un crabe bien armé en quelques secondes.
Autre exemple, certaines étoiles de mer sont de grands prédateurs, s'attaquent aux coraux et à tous les animaux sessiles qu'elles rencontrent en évaginant leur estomac.
Les valves des gastéropodes, les moules, par exemple, sont écartées grâce à leurs nombreux petits pieds ambulacraires.
Les migrations
L'animal le mieux adapté à la chasse a toutes les chances de favoriser la reproduction et le développement de l'espèce. Les poissons et invertébrés marins n'aiment pas la compétition pour trouver la nourriture. Ils se créent un territoire de chasse qui aura une superficie en fonction des besoins. Ils chasseront tous ceux qui mangent la même nourriture qu'eux.
Si certaines espèces en dominent d'autres, les plus faibles s'adaptent en faisant des migrations plus ou moins importantes selon leurs besoins ou selon les besoins de leur progéniture.
v...Adaptation à une protection corporelle chez l'invertébré
Ø La forme et la couleur
L'invertébré, plus petit, souvent plus faible et moins rapide que le poisson prédateur, a intérêt à passer inaperçu en se camouflant. Il peut aussi ressembler, par la nage, par les couleurs ou par la forme, à un autre animal non comestible ou dangereux. Ce phénomène est appelé mimétisme (du verbe mimer).
Ex. : - certaines limaces de mer ont des couleurs vives faisant penser à d'autres animaux venimeux.
- nombreux alevins sont rayés de blanc ou noir, pour faire penser à d'autres animaux dangereux telles certaines murènes striées de la même manière. Ces lignes sur les alevins ont tendance à s'atténuer et même disparaître avec l'âge.
Ø Les cellules urticantes
Sur les méduses et les anémones de mer en particulier mais aussi chez beaucoup de coraux et invertébrés sessiles. Ces cellules ont une fonction de défense mais aussi d'anesthésiant pour paralyser la proie.
Ø Les carapaces et les coquilles
Tous les mollusques bivalves et univalves sont protégés ainsi que les crustacés qui, en plus, peuvent être munis de pinces impressionnantes (crabes, homards, …).
L'oursin est protégé par des piquants dont la taille et la forme varie selon l'espèce.
v... La symbiose
Deux animaux d'espèces différentes peuvent s'aider mutuellement et vivre ainsi en symbiose.
Tout le monde connaît le Bernard l'ermite et son anémone.
Le premier sert de transporteur, la seconde de protectrice.
Un exemple similaire entre le poisson clown et son anémone : le premier apporte la nourriture, la seconde assure protection.
Le cas du Rémora ou poisson pilote collé au requin est plus délicat. Il mange les restes des repas du requin qui lui assure aussi protection mais ce Rémora rend-t-il service au requin ?
Il était dit auparavant que son flair guidait le prédateur vers ses proies. Mais quelques écrits modernes contredisent ce service rendu depuis que l'on voit ces Rémora collés aussi sur la coque de nombreux bateaux. Si les services rendus ne vont que dans un sens, il s'agirait alors d'un cas de commensalisme et non de symbiose.
Le choix d'un aquarium
Les poissons sont pour la plupart des prédateurs, malgré quelques herbivores, et les invertébrés des détritivores (destruction de gros déchets) ou décomposeurs (destruction de petits déchets, même microscopiques) sans grande protection. La symbiose existe mais elle est rare. En général, les poissons sont redoutés par les invertébrés et les invertébrés sessiles redoutent en plus les invertébrés mobiles tel les crabes, étoiles de mer, vers parasites, …
Dans l'aquarium, on ne pourra mettre n'importe quoi avec n'importe qui. Il faudra donc prendre une décision AVANT d'installer votre bac. Vous désirez :
- un aquarium avec poissons uniquement
- un aquarium mixte
- un aquarium récifal, sans poissons.
Sans entrer dans les problèmes techniques de qualité d'eau et d'éclairage, il faut signaler que le prix de l'installation varie fortement, l'exigence des coraux demande un matériel sophistiqué, relativement coûteux. L'aquarium de poissons est très " vivant ", beaucoup de mouvements de la part des poissons, des poursuites, la recherche constante de nourriture, le combat pour un petit territoire … c'est très captivant. L'aquarium récifal offre un décor naturel de toute beauté, " un coin de lagon dans son salon ". Mais ce décor immobile manque de vie pour le néophyte, cela ne plaît pas à tout le monde. Il faut donc choisir. Les quelques conseils qui suivent concerneront l'aquarium mixte puisque c'est dans celui-ci que l'on retrouvera l'opposition poissons-invertébrés avec tous ses problèmes.
L'aquarium mixte et le face-à-face poissons invertébrés
v Eliminer d'office certains poissons
Le problème de la prédation nous pousse à éliminer les poissons qui s'attaquent aux invertébrés, en général .
POISSON
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MOTIF
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Genre Arothron Balistes |
S'attaquent à de nombreux crustacés, particulièrement les crevettes et les coraux |
Genre Euxiphipops Pomacanthidae |
Broutent les rochers couverts d'éponges, arrachent les panaches des spirographes, sabelles |
Genre Acanthurus ou Paracanthurus |
Détruisent tout ce qui est végétal. S'attaquent aux jeunes pousses et empêchent tout développement |
… et bien d'autres mais sont présentées ici les espèces les plus courantes rencontrées dans les magasins du pays.
Le problème de la fabrication de nitrates nous poussera à éviter les espèces de grande taille.
Dommage, car ces espèces sont sans danger pour la majorité des invertébrés, ce sont des proies trop petites, insignifiantes qui ne valent pas l'effort de les capturer. De plus, les grands prédateurs ne s'attaquent qu'à ce qui bouge.
Prenons le cas du Ptéroïs volitans :
que pourrait-il faire comme dégradation dans un aquarium récifal ? Aucune. Alors, pourquoi l'en exclure ? Simplement parce que ces poissons sont de grands consommateurs de nourriture. Leurs déchets seront donc importants et nous savons que ceux-ci, repris par des décomposeurs, se transformeront rapidement en nitrites puis en nitrates. Et ces nitrates ne peuvent pas s'accumuler dans un aquarium où vivent des invertébrés. L'écumeur empêche leur formation et les pierres vivantes leur accumulation mais s'il y a surcharge, votre sable lui-même servira de filtre biologique, gorgé de nitrates. Les gros poissons sont faits pour vivre dans de grands espaces que nous ne pouvons pas leur offrir. Les changements d'eau trop fréquents et en grandes quantités coûtent cher, et de toute manière, ne sont pas bénéfiques aux invertébrés.
Nous éliminerons donc ici les espèces déjà présentées dans le tableau ci-dessus et en ajoutons quelques autres qui n'ont comme défaut que leur grandeur ou leur grosseur :
- les mérous - les Ptéroïs et Dendrochirus
- Naso lituratus - Zebrasoma veliferum
- Les poissons pierres - Balistoïdes conspicillum
- Pygoplites diacanthus - Les Holacanthes
- les Parachaetodons - Arusetta asfur
- Les diodons - Les Platax
- Les Lutjans - Les Plectorhinchus
- Cromileptes altivelis (Grâce Kelly) - Les murènes.
Sont présentés ici des poissons à éliminer, mais certains invertébrés ne sont pas moins agressifs ou venimeux et sont aussi à exclure. Une pieuvre, par exemple, introduite dans un aquarium mixte se nourrira de tout ce qu'elle trouve de vivant, sans exception. Il ne restera plus qu'elle dans le bac.
Chacun sait qu'un homard peut aussi occasionner de gros dégâts, même dans vos décors. Mais ces cas sont plus rares.
v 1er exemple : un aquarium contenant quelques invertébrés fragiles
(bac de 300 L)
Le choix des invertébrés influencera celui des poissons.
Attention, ne faites pas l'inverse ou vous allez vers une grosse déception, celle de vous retrouver très limité dans le choix de vos invertébrés. Et puisque certains parmi ceux-ci ne s'entendent déjà pas entre-eux, il est conseillé de prévoir, dès le début de l'installation de l'aquarium, un plan d'achat de ce que vous comptez introduire comme animaux (et algues) dans votre aquarium. Et pensez à respecter ce plan. Un coup de cœur est vite arrivé face à toutes les merveilles que vous rencontrerez chez le marchand. Restez ferme, ne dérogez pas à votre plan ou analysez à tête reposée l'effet que ferait l'introduction d'un nouvel hôte dans ce plan, et donc, dans votre aquarium.
Ci-dessous, le schéma d'un aquarium mixte de 300L environ, poussé à la limite du danger de voir quelques nitrates apparaître. Leur concentration doit voisiner le 0mg/l. Ce sont vos pierres vivantes qui doivent ramener la teneur à 0 chaque fois qu'elle s'en écarte.
Pas de filtre biologique.
CORAUX |
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POISSONS |
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DIVERS |
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Mis à part le Zebrasoma, les autres poissons sont de petite taille. Si l'on place un poisson plus grand, il faut diminuer le nombre total.
Si vous voulez de plus amples renseignements sur ces poissons ou invertébrés, voyez les précédentes revues du Pristella, ils ont tous été analysés pour vous dans les fiches individuelles de l'AQUA 6000.
Conseils :
- Au moment de l'installation du bac, introduisez d'abord vos pierres vivantes et attendez que quelques concrétions calcaires, algues ou éponges, (souvent mauve) se développent avant d'introduire poissons et invertébrés.
- Veillez à ce que la nourriture soit de suite mangée, au cas contraire, diminuer la ration.
2ème exemple : un aquarium contenant quelques poissons imposants
(bac de 600 L)
Introduire un filtre avec mousse que vous nettoierez une fois par semaine pour éviter l'apparition de nitrates. Ce filtre n'est donc pas un filtre biologique et ne doit pas en devenir un par votre négligence (régularité des nettoyages), 10 jours entre 2 nettoyages est un maximum.
INVERTEBRES |
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POISSONS |
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Commentaires :
- Comme pour le tableau précédent, on peut remplacer un couple d'individus par un poisson de plus grande taille. On peut en trouver plusieurs conseillés dans la littérature aquariophile, comme le Centropyge loriculus, par exemple, très coloré, actif. Il n'a pour défaut que son prix.
- Vos Amphiprions peuvent pondre au pied de l'anémone et ventiler leurs œufs comme le font les Cichlidés. Mais pour arriver à l'éclosion des jeunes, c'est une autre difficulté à surmonter.
- Ne vous tracassez pas pour acheter un vrai couple d'Amphiprions, l'un des deux change de sexe pour qu'une ponte puisse aboutir, s'il le faut.
Conclusion :
Les deux exemples d'aquariums présentés ici sont basés sur une expérience personnelle qui a été positive, tout spécialement en ce qui concerne les relations interspécifiques. Ils sont conseillés aux débutants qui hésitent à se lancer dans des dépenses trop coûteuses sans grande chance de succès.
Les aquariums ont été installés avec 3 appareils nécessitant cependant un budget relativement important :
- une pompe à gros débit : 2000l/h (+ une autre de 1500 sur le 600L)
- un écumeur de qualité
- un HQI de 250w (2 sur le 600L)
Le choix des poissons et des invertébrés a été fait parmi les mieux connus au point de vue adaptation et relations mais aussi les plus résistants aux conditions du milieu.
Recréer chez soi un coin de récif est, pour tout aquariophile marin, un but proche ou lointain. La première étape sérieuse n'est pas pour moi la maîtrise de l'aquarium récifal mais la maîtrise de voir cohabiter des poissons avec des invertébrés de plus en plus exigeants. Il nous manque encore énormément de connaissances, dans l'utilisation et l'équilibrage des oligo-éléments par exemple, pour arriver à replacer nos poissons marins dans le décor qu'ils méritent vraiment.
Un " modèle " de base est posé ici, à chacun de modifier les paramètres selon l'apprentissage des autres, mais pas selon " son expérience personnelle ". Lisez beaucoup de revues et livres récents avant de risquer la vie de n'importe quel être vivant, quel qu'il soit.